Comprendre les mécanismes qui régissent le monde…

Conférence « Les 2 familles du scepticisme »

Difficulté : 4/5

Peut-être connaissez-vous le monde de la zététique et du scepticisme scientifique. Depuis quelques années, des gens essayent de propager l’idée de doute méthodique et transmettre largement l’esprit critique. Si le projet fait consensus, il semble que le milieu est récemment secoué d’un grand nombre de tensions et de disputes. Qu’est-ce qui se cache derrière l’idée de défendre la science et l’esprit critique ? Est-ce que les disputes ne sont que de vulgaires « dramas » ou est-ce qu’il y a des racines philosophiques plus profondes ?

Une conférence que j’ai présentée dans les présentations mensuelles de l’association Observatoire zététique, tous les premiers lundi du mois à Grenoble. Bien qu’étant membre de l’association, ce que je dis n’engage pas les autres membres.

Compléments/note d’intention

Cette conférence est sur un sujet assez touchy, c’est pourquoi l’angle que j’ai pris est assez spécial. Beaucoup de discussions portent sur un événement clivant, une personne qui à fait quelque chose et ça suscite du débat parce que c’est un comportement oppressif, ou qui vulgariserait mal le consensus scientifique, ou que quelqu’un se sent insulté, etc. Un terme à émergé pour parler de ça : les « dramas ». Avec ce mot on regroupe autant les campagnes de harcèlement, les accusations de sexisme, les simples disputes naissant d’un qui pro quo et j’en passe. L’idée derrière étant souvent de faire passer chaque sujet de tension interne comme des enfantillages, du pinaillage sur des détails, voir du harcèlement organisé par des méchants comploteurs.

C’est pour ça que j’ai décidé que j’allais parler des origines profondes de ces conflits. Plus que des personnes qui peuvent pas se blairer, les tensions naissent aussi de vision du monde différentes et parfois irréconciliable. De la même manière qu’on ne peut réconcilier les suprématistes blancs avec les anti-racistes, pour moi il y a des courants intellectuels qui n’ont aujourd’hui rien à faire dans le milieu du scepticisme scientifique. Pire : tenter à tout prix de faire cohabiter tout ce petit monde est contre-productif puisque qu’il oblige à endurer des souffrances pour les groupes les moins dotés en privilèges. Encore une fois : ça n’a pas de sens de faire cohabiter dans un même mouvement une personne qui subit du racisme avec des suprématistes.

Un autre aspect lié à ça c’est « ah quel point il faut parler des youtubeurs qui sont aux centres de l’attention et donc, des débats ? ». D’une manière générale, je pense qu’il faudrait qu’il n’y ai plus d’idoles intouchables, dans la zététique comme ailleurs. Je dis « intouchable », parce que je constate que de plus en plus de gens suspendent leur esprit critique (volontairement ou non) sur des vidéastes gravitant autour de la zététique, et c’est bien dommage, voir potentiellement dangereux. Les raisons sont diverses : les vidéastes ont prit toute la visibilité et sont donc perçu comme des piliers (un pilier on l’attaque pas si on veut pas que la charpente s’effondre). Ils ont participé a créer un narratif où ils sont constamment harcelé de toute part, se victimise à la moindre critique, légitime ou non, ce qui encourage à serrer les rangs autours d’eux. Qu’elle qu’en soit les raisons, c’était pas le sujet de ma conférence.

CNQT le formule mieux que moi.

J’assume que cet angle n’est pas forcément celui auquel on s’attend, et c’est ce qui est ressorti des premiers retours. « Ah mais je croyais qu’on allait parler du REC, ah mais je croyais qu’on parlerait de la Tronche en Biais », eh bah non. Chaque sujet prendrais beaucoup de temps à être traité et finalement on passerait une nouvelle fois à côté du sujet de fond. La loi de Brandolini est en plus pas de notre côté sur ce coup-là [1]La loi de Brandolini ou « principe d’asymétrie des baratins » est un adage énonçant que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une théorie est bien supérieure à … Continue reading. J’espère qu’après avoir vu la conférence, vous aurez envie d’en savoir plus sur les différents thèmes abordés, surtout que j’ai essayé de pas faire une conférence trop longue.

En fait tout l’enjeu était de pouvoir toucher les gens qui suivent la zététique de loin, qui disent « ouais il parait que sur twitter ça s’engueule mais ça m’intéresse pas », parce qu’à mon avis ils ne comprennent pas les enjeux. On ne peut être neutre dans un train en marche, et si une partie de la zététique s’engage sur une pente sectaire ou oppressives, je pense qu’il faudrait prévenir le public des enjeux. Or ceux qui ont de la visibilité sont soit des gens qui incarnent ces potentiels dérives, soit ne veulent pas trop prendre positions dans ces débats. A ceux-là je rappellerais que jouer la neutralité dans les situations d’oppressions laisse le champ libre à l’oppresseur. Bon après je dis ça… mais paradoxalement ça a été ma posture sur cette conférence, personne n’est parfait.

Un autre angle aurait pu être « l’affranchissement progressif de la recherche par les zététiciens ». Si au départ la zététique était le fait de « pratiquer » (reproduire des phénomènes paranormaux) progressivement elle a plus désigné le fait de « diffuser »[2]La pratique de la zététique remonte à des gens comme Harry Houdini ou James Randi qui étaient avant tout des débunkeurs de charlatans. Leur but était de démystifier ceux qui prétendaient … Continue reading. Le clivage était alors entre les asso de terrain et la « zététique en ligne ». Et lorsque les youtubeurs ont pris toute la visibilité, c’est en recyclant bien souvent le travail qu’on fait les pionniers. Pire : là où les premiers zet lisait la littérature (souvent pas très fournie puisqu’on parlait de sujet de niche) on a progressivement vu émergé des zet qui pensaient pouvoir s’en affranchir grâce à la toute puissance de leur Esprit critique. Faire un petit protocole dans un cadre associatif, puis en faire un dossier [3]Je parle de dossier ou d’article parce que c’était la forme que ça a pris, en témoigne par exemple les archives qu’on trouve sur le site http://zetetique.fr/, ça n’est pas la même chose que de produire un article scientifique. On sait que les outils, la méthode, la validation de l’article, ça imite vaguement la recherche, mais que ça n’en est pas. Chez les zététiciens à l’ancienne que j’ai rencontrée (surtout ceux de l’OZ donc) on a conscience de ces limites et qu’il faut aller lire la littérature scientifique pour avoir de vraie compétence sur un sujet. Par contre dans la zét internet on a visiblement oublié ça, ce qui entraîne une confusion entre « les outils qu’on se crée viteuf pour moins croire à des chausses fausses » et « les outils qui permettent de trier le vrai et le faux, en science comme ailleurs ». Ce qui entraîne une autre confusion : est-ce que les vulgarisateurs vulgarisent la science (et doivent avoir des sources crédibles) ou parle de leurs réflexions perso et devraient rendre clair leur limites ? Ce qui reboucle avec ce que je dis dans la partie 3 : est-ce qu’aujourd’hui ceux qui se reconnaissent dans la zététique veulent vraiment « faire » de la zététique ou veulent faire de la vulgarisation avec tout ce que ça implique comme exigence ?


Si vous êtes habitué de mon travail, vous remarquerez que la base de cette conférence se trouve dans mon article Un mouvement sceptique au bord de la scission ? [4]Si vous préférez il existe aussi un live avec Jeremy Royaux et moi-même sur la chaîne de Concrètement Moi dans lequel on a lu et discuté de cet article … Continue reading. Même si j’ai repris certain éléments, l’angle est assez différent donc on va dire que les deux sont complémentaires.

Et en parlant de compléments, voilà quelques ressources facile d’accès que je vous propose, sur des thèmes plus ou moins proches.

Vidéos

Articles

https://lemalingenie.fr/2020/03/04/opinion-humeur-la-crise-du-rationalisme/

http://zetetique.fr/breve-histoire-du-terme-etrange-de-zetetique/

https://theconversation.com/zeteticiens-et-autres-debunkers-qui-sont-ces-vulgarisateurs-2-0-139768

https://zet-ethique.fr/2020/02/20/les-gens-pensent-mal-le-mal-du-siecle-partie-1-6-critique-du-concept-de-biais-cognitif/

https://zet-ethique.fr/2021/02/13/des-biais-de-lideologie-et-des-biais-ideologiques-partie-3-tous-les-modeles-sont-faux-mais-certains-sont-utiles/

Dossier sur l’affaire Sokal/Bricmont : http://www.tribunes.com/tribune/alliage/35-36/content.htm

Sur un sujet proche, le new-atheism comme un style de vie… https://doi.org/10.1080/14742837.2018.1434500 [5]L’article est derrière un paywall, mais ça serait irresponsable si vous passez par Sci-hub pour le lire. Ça priverait des gentils actionnaires de leur précieux dividende prit sur le dos des … Continue reading

… ou comme une une Identity Politics : https://www.academia.edu/2373772/New_Atheism_as_Identity_Politics

Une question à la fin parle de Gérald Bronner. Si vous voulez en savoir plus vous pouvez lire mon article à son sujet :

https://tranxen.fr/gerald-bronner-sociologue-de-lirrationnel/

Sources

Comme je l’explique pendant la conférence, il n’existe pas vraiment d’études sociologiques à proprement parler du milieu de la zététique, encore moins sous l’angle des tensions internes. Les sources sont donc surtout là pour creuser des sujets connexes.

  • Laurens, Sylvain, Militer pour la science, Les mouvements rationalistes en France (1930–2005), Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2019
  • Mahmoudi, Kaltoum. « Esprit critique et pouvoir d’agir. Vers le développement d’une « attitude critique » ? », Spirale – Revue de recherches en éducation, vol. 66, no. 3, 2020, pp. 51-63.
  • Neveux, Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La découverte, 2019, 116 p
  • Rabier, Christelle. « En attendant que le porridge refroidisse… La réponse de SSS aux science wars », Genèses, vol. no 58, no. 1, 2005, pp. 113-131.
  • Raynaud, Dominique. « Chapitre 1. La métacontroverse des « Science Wars » (1994-2006). Relativisme et rationalisme en sociologie des sciences », Sociologie des controverses scientifiques. Éditions Matériologiques, 2018, pp. 55-86.
  • Ward, Jeremy K, Paul Guille-Escuret, et Clément Alapetite. « Les « antivaccins », figure de l’anti-Science », Déviance et Société, vol. 43, no. 2, 2019, pp. 221-251.

https://www.estim-mediation.fr/v2/wp-content/uploads/2021/06/Synthese-Ephiscience-EDM-esprit-critique-2.pdf

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Twitter : https://twitter.com/Tranxen1

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Youtube : https://www.youtube.com/c/Tranxen

Peertube : https://tranxen.skeptikon.fr

Site : https://tranxen.fr

Réferences

Réferences
1 La loi de Brandolini ou « principe d’asymétrie des baratins » est un adage énonçant que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une théorie est bien supérieure à celle nécessaire pour l’énoncer (Je paraphrase). Une bonne illustration récente est la vidéo de Patchwork et Dr Sornette sur La petite Boutique des Erreurs. Un gros travail qui montre les limites de la vulgarisation mode Tronche en Biais et qui n’a reçu à l’heure actuelle, aucune réaction des intéressés.
2 La pratique de la zététique remonte à des gens comme Harry Houdini ou James Randi qui étaient avant tout des débunkeurs de charlatans. Leur but était de démystifier ceux qui prétendaient avoir des pouvoirs extraordinaire. Ce n’est que progressivement que des professeurs vont s’emparer de ces sujets pour leur aspect pédagogique (Broch, Monvoisin). Malgré leur défauts, ces premiers pédagogues avaient au moins pour métier l’enseignement, le cadre universitaire comme garde-fous, et ils pratiquaient vraiment les protocoles de terrain. Avec Internet, les vulgarisateurs n’ont plus toutes ces contraintes.
3 Je parle de dossier ou d’article parce que c’était la forme que ça a pris, en témoigne par exemple les archives qu’on trouve sur le site http://zetetique.fr/
4 Si vous préférez il existe aussi un live avec Jeremy Royaux et moi-même sur la chaîne de Concrètement Moi dans lequel on a lu et discuté de cet article https://www.youtube.com/watch?v=XdTeS6vr2Lk
5 L’article est derrière un paywall, mais ça serait irresponsable si vous passez par Sci-hub pour le lire. Ça priverait des gentils actionnaires de leur précieux dividende prit sur le dos des chercheurs. Vous ne voulez pas ça hein ? Hein ?

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