Le festival toulousain Les Rencontres de l’Esprit Critique propose tous les ans des conférences et activités autours de la pensée critique. On y trouve pas mal de choses, y compris des conférences et des invité·e·s de grande qualité. D’ailleurs le prochain sera le 27-28 avril 2024, il est pas impossible que vous m’y croisiez 😉
Parmi toutes les conférences qui ont eu lieu l’année dernière, un replay a récemment attiré mon attention, et j’ai eu tellement de choses à en dire que j’ai préféré en faire un article plutôt qu’un simple commentaire. Disons que c’est un bon cas d’école. Vous pouvez la voir via ce lien[1]Le festival REC a mis en place un super outil, très utile pour les gens comme moi. En plus de la conférence, il propose de rendre accessible les diapositives via un lien dans la description des … Continue reading, sinon je vais résumer le contenu au fur et à mesure ici.
Difficulté : 4/5
Cette conférence était présentée par le psychologue social Pascal Wagner-Egger. Annoncée par son titre comme une conférence sur les biais cognitifs, surprise : finalement, elle propose de faire un état de la recherche sur les liens entre biais idéologiques et lutte pour la pensée critique. Et le tout permettrait d’aider à mieux appréhender les tensions qui traversent le milieu du scepticisme scientifique et de prendre du recul sur le militantisme. Des sujets qui m’intéressent beaucoup, sur lesquels j’ai écrit une conférence pour chacun [2]Vous pouvez aller voir ma première conférence sur les tensions dans le milieu sceptique. La seconde n’a pas encore eu de captation, mais je vous renvoie à mon asso, Mythodologie..
Avant même la mise en ligne de la conférence, une photo de celle-ci avait un peu fait parler d’elle. Le discours semblait tomber dans les propos simplistes qu’on regroupe sous l’étiquette « zététique apolitique », ou « zetapos » pour faire court [3]J’aime cette expression car je pense que beaucoup d’aspects découlent du manque de culture politique. Certains ont pu faire remarquer que ça ressemblait un peu à Gestapo, et évidemment loin … Continue reading. Par exemple on y voyait l’idée que les tensions seraient causées par l’arrivée « d’extrémistes » parmi lesquelles le collectif Zet-Ethique Méta-critique (les terrrribles ZEM)[4]Je rappelle quand même que la première association revendiquée zététique était le Cercle Zététique. Cette association a subi une série de scission parce que son président était … Continue reading. Mais ce n’était qu’une slide d’accroche, et le but de cette conférence – on le sait maintenant qu’il y a un replay – c’est d’apporter des données empiriques au sujet du rapport entre scepticisme et politique. La première slide ne représente donc pas forcément ce que pense Pascal Wagner-Egger (que je vais appeler PWE à partir de maintenant parce que c’est plus court).
Je ne suis pas là pour juger ici de sa production scientifique, parce que c’est le rôle des chercheurs et des chercheuses, et ici je vais le critiquer en tant que vulgarisateur qui vulgarise les mêmes sujets que moi, mais avec un point de vue assez différent. Et si la pensée critique vous intéresse, j’espère que vous ne vous arrêterez pas à une idée comme « Tranxen n’a pas aimé la conférence parce que ça va à l’encontre de son idéologie ! », parce que vous verrez que ce n’est pas le propos.
Maintenant que le contexte est posé, attaquons l’analyse de la conférence.
Sommaire
1/ Extrémisme et esprit critique : c’est pas si simple
Première affirmation de Pascal Wagner-Egger (PWE) : la recherche montrerait effectivement que l’extrémisme affaiblit la rationalité.
A/ Jost et le dogmatisme de droite
On commence directement avec la présentation d’une méta-analyse réalisée par le psychologue politique John Jost et ses collègues. Ça tombe bien, le travail de Jost est important dans mon Cycle de vidéos sur le Militantisme. Vous pouvez le voir par exemple en lisant la description de ma vidéo sur morale de gauche et de droite[5]Vous pourrez voir dans la description de la vidéo ma définition de gauche et de droite. Vous verrez que cette définition a un double aspect contextuel et substantiel. Si on accepte l’aspect … Continue reading.
Le propre de la psychologie politique est de croiser des positions politiques (conservatisme, attrait pour l’autorité, l’égalité, etc) et des caractéristiques psychologiques (anxiété, peur de l’inconnu, capacité d’empathie, etc). Quand en politique on parle « des extrêmes », on mélange généralement deux choses : les « gens sur les bords de l’axe gauche-droite » (analyse de leurs idées), et les « gens qui défendent leurs idées de manière trop dogmatique » (analyse de leur psychologie). Des quels parle-t-on ici ? Si on confond les deux, est-ce acceptable ? Justement, les psychologues politiques comme Jost sont là pour voir si on fait bien de confondre les deux dimensions ou pas[6]En l’occurrence, je penche plutôt pour le « ou pas ». Dit autrement : n’importe quelle idée peut être défendue de manière extrême : https://www.youtube.com/watch?v=B43IZ7JXsFk.
Et je ne m’arrête pas à Jost, il faut toujours croiser avec d’autres disciplines pour ne pas tout réduire à la psychologie individuelle. Par exemple ma vidéo dédiée à l’idée « d’extrémisme politique » interroge la pertinence de faire une seule catégorie où on rangerait tous « les militants », tant les pratiques militantes sont hétérogènes d’un milieu à un autre. Si on veut vulgariser uniquement la recherche en psychologie, il faut rester clair auprès de son public qu’on ne lui montre qu’un aspect particulier d’un phénomène.
PWE présente donc une méta-analyse faite par Jost et ses collègues en 2003 qui voulait voir si la rigidité mentale (dogmatisme, intolérance à l’incertitude) est présente partout dans le spectre politique ou s’il y en aurait plus à l’extrême-droite[7]Dans cet article je parle surtout des personnes et de leurs idées réelles, et non de comment elle se déclarent. Si par exemple on mesure le niveau de racisme d’une personne et elle obtient un … Continue reading par exemple. PWE présente les trois hypothèses principales avec l’image ci-contre, et affirme une tendance lourde en faveur de la troisième hypothèse, celle du « U penché ». Ça confirmerait ainsi la théorie des zétapos que les extrêmes seraient tout deux irrationnels, qu’il faudrait rester centriste pour rester rationnel. Or, les auteurs mettent plutôt en garde contre le fait de parler d’irrationalité pour qualifier certaines opinions[8]Au sujet de la « cognition sociale motivée » avancée par les auteurs, ces derniers écrivent : « Cela ne veut pas dire que le conservatisme serait pathologique ou que les croyances conservatives … Continue reading. Là encore c’est un problème de ne pas définir des mots aussi polysémiques que rationnel : chacun y voit quelque chose de différent, et on a vite fait de conforter les préjugés des uns et des autres.
Cette méta-analyse donc, elle s’appelle « Le conservatisme politique, une cognition sociale motivée ». Dès le titre et le résumé, on a une idée qui est quasiment absente de la conférence de PWE, celle de l’asymétrie idéologique. Cette méta-analyse supporte l’idée que les idéologies conservatrices sont adoptées en partie car elles vont satisfaire des besoins psychologiques particuliers (par exemple le besoin de contrôle)[9]D’ailleurs tous les systèmes de croyances répondent à des besoins psychologiques individuels. C’est juste que ces besoins ne sont pas les mêmes selon les personnes au même moment de leur … Continue reading. Et pour ça on va avoir différentes manières de tester le dogmatisme, mais aussi l’autoritarisme, les besoins existentiels, la rigidité, etc. Et selon les méthodes employés, certaines études attestent l’hypothèse (a) et invalident la (b)[10]Comme disait la camarade Chayka, vulgarisatrice spécialisée en psychologie politique, on n’a jamais réussi à démontrer réellement l’existence d’un package du … Continue reading. La présentation des résultats faite par Jost est donc beaucoup moins nette que ce que laisse penser PWE : l’hypothèse du « dogmatisme de droite » est loin d’être négligeable.
Je m’arrête un instant pour vous présenter d’autres travaux de Jost : quand on teste l’échelle du score de cognition, c’est à dire qu’on cherche les individus qui déclarent une attirance pour le fait de penser, de réfléchir avec des catégories complexes, il en ressort qu’ils sont plus à gauche. À l’inverse, plus un individu possède une fermeture cognitive forte (donc a tendance à préférer les catégories simples, claires et figées) plus il aura des chances d’être de droite[11]Résultats obtenus une première fois ici https://guilfordjournals.com/doi/10.1521/soco.2012.30.6.669 reproduit ensuite là : https://psycnet.apa.org/fulltext/2017-48712-001.html. Dans son autre méta-analyse en 2017 et sa revue de littérature en 2020, Jost résume en disant que les conservateurs sont en moyenne plus autoritaires, dogmatiques, rigides et fermés d’esprit que les progressistes. Or, il est assez capital d’avoir une certaine flexibilité et ouverture d’esprit quand on veut exercer sa pensée critique, ça en est même une composante essentielle.
Ce que j’en retiens, ce n’est pas que les gens de droite seraient incapables d’esprit critique bien sûr, c’est qu’il y a des asymétries entre les personnes de droite et de gauche quant à leurs prédispositions à la pensée critique. A force de lire la psychologie politique sur ces sujets, je pense qu’il y a deux choses qui s’auto-engendre mutuellement : le manque de prédisposition à la pensée critique et le conservatisme politique. Ce travail de synthèse est inclus dans LE livre de Jost que je vous conseille si vous lisez l’anglais : Left and Right: The Psychological Significance of a Political Distinction. Un livre très utile pour vraiment mettre à l’épreuve les positions zétapos : pertinence des catégories gauche et droite, asymétrie de l’extrême droite et gauche, omniprésence de l’idéologie dans le jugement, etc. Il permet surtout d’entrer dans le détail de qu’est-ce qui est vraiment lié à l’idéologie et ce qu’il ne l’est pas : par exemple le biais pro-endogroupe est présent partout sur le spectre politique.
Contrairement à l’image catégorique et stéréotypée des extrémistes, l’approche fondée sur la mesure réelle des traits au niveau des adhérents individuels révèle que, tout comme les modérés, les extrémistes diffèrent considérablement les uns des autres. […] Les résultats ne corroborent donc pas l’idée que les adhérents aux idéologies extrêmes de gauche et de droite se ressemblent […], mais soutiennent plutôt la perspective alternative selon laquelle différentes idéologies extrêmes attirent différentes personnes ».
Van Hiel, Alain. « A Psycho-Political Profile of Party Activists and Left-Wing and Right-Wing Extremists ». European Journal of Political Research, vol. 51, no 2, mars 2012, p. 166‑203. https://biblio.ugent.be/publication/2109499
B/ Le complotisme et ce que dit réellement l’étude de Imhoff.
Ne s’attardant pas sur les nuances, PWE change de slide et nous présente une compilation d’études qui parle cette fois du complotisme mais toujours avec la mention de la courbe en « U penché ». Sur le fond on a tout de suite un problème puisque PWE nous parle d’une méta-analyse, ce que l’étude n’est pas : elle compile des résultats de 2 études sur 26 pays. Sur la forme, le fait de rester dans la même section « extrémisme et rationalité » me paraît risqué puisque ça peut laisser entendre que extrémisme, dogmatisme, complotisme, polarisation, attitudes anti-démocratiques, tout ça serait un peu pareil, ce qui serait évidemment réducteur. Ce travail de recherche me semblait au premier abord plutôt correct, cette fameuse courbe du U penché revenait souvent dans mes lectures passées sur le complotisme. Par contre j’avais envie de creuser, par exemple pour voir quels complots ont été testés, ou si c’est une échelle de pensée conspirationniste plus générale.
J’ai donc repris l’étude collective citée, à laquelle PWE a contribué. Le niveau de complotisme est mesuré avec quatre questions généralistes, type « pensez-vous que plein de choses très importantes arrivent dans le monde dans que les public n’en soit jamais informé ? » ; et on pose des questions sur des théories du complots plus spécifiques pour vérifier que ce niveau de complotisme mesuré est bien statistiquement corrélée à l’adhésion à de telles théories. Point positif : les données brutes sont accessibles, laissant donc la possibilité de les retravailler au besoin[12]Si vous voulez vous aussi les reprendre et vérifier ce qu’on raconte par la suite, on vous y encourage : https://osf.io/jqnd6/files/osfstorage. Déjà je remarque que deux des schémas ne présentent pas de courbes en U mais plus une espèce de W : il y a presque autant de complotisme chez les centristes qu’à l’extrême droite. Je remarque aussi que le point d’inflexion n’est pas au centre, mais clairement plus à gauche : 3,4 au lieu de 5[13]A noter que la première étude avait pour question « Please indicate your political orientation on a scale from left to right, very left-wing coded as 1 to very right-wing coded as 9 » et la … Continue reading.
Au fond les écarts ne sont pas très significatifs et avec des fortes marges d’erreurs, certains pourraient même en conclure que ça ne prédit rien. Mais j’ai un peu des doutes là-dessus, il serait prudent de dire qu’il y aurait un petit effet du positionnement politique sur le complotisme, mais que c’est dur à voir. En tout cas, l’affirmation faite par Wagner-Egger que « oui on trouve bien une courbe en U penché quand on mesure le niveau de complotisme par affinité politique » est factuellement fausse.
Dans cette étude l’orientation politique a été mesurée par de l’auto-placement sur des échelles de gauche à droite. Pour produire des données quantitatives c’est plus pratique, mais puisqu’on compare plusieurs pays pour qui gauche et droite seront perçues différemment ça doit nous faire prendre les résultats avec beaucoup de pincettes : le fait qu’il y ai 26 pays différents ne rend pas les résultats plus robustes mais au contraire plus difficilement comparables[14]Ces résultats ont ensuite été croisés avec un indicateur lié aux votes où chaque parti qui est associé à un score (basée sur le CHES). Mais personnellement, un score qui place le PCF comme … Continue reading. Lorsque PWE présente les résultats « pays par pays », il explique que les outils mathématiques déployés montrent bien une distribution en U et/ou qui monte vers la droite, mais en réalité on ne peut pas en déduire ça ! La courbe en W apparaît dans les graphiques mais les graphiques partent du principe que la courbe est un U malgré tout, WPE prétend que ça le prouve, et ça fait un raisonnement circulaire[15]Ce qui est présenté dans la slide c’est deux graphiques de relations quadratiques. Faire des dérivations de ce style permet bien de voir le point on où arrête de descendre et qu’on … Continue reading. Une technique utilisée dans le graphique dont je parlais juste avant (test à deux lignes) a le même problème : ses inventeurs disent explicitement qu’elle n’est pas faite pour les courbes en W[16]L’étude de Imhoff et ses collègues reprennent cette technique inventée dans un article dans lequel on peut lire (traduction personnelle) : « Le test à deux lignes devrait fonctionner … Continue reading.
On pourrait aussi rentrer dans le détail de corrélation ou causalité, « quel complot pour quel bord politique », mais encore une fois le soucis principal n’est pas l’étude présentée, mais la présentation fallacieuse que PWE en fait. Il enchaîne ensuite avec une présentation de sondages de l’IFOP sur le complotisme et le paranormal, qui eux pour le coup sont clairement mauvais. Méthodologiquement ces sondages sont assez bancals[17]Voir la vidéo du Stagirite à l’époque. D’ailleurs PWE était cité dans les sources de cette vidéo, c’est marrant. Ce qui est moins marrant, c’est qu’un chercheur … Continue reading, et ces enquêtes de l’IFOP sont présentées si rapidement qu’on laisse penser qu’on aurait plusieurs méta-analyses concordantes, alors qu’on a mélangé des sujets et des méthodes très différentes dans cette partie.
Pour résumer : on constate peut-être une forme de pensée plus rigide et conspirationniste aux extrêmes, mais pas de la même manière (plus à l’extrême droite) et surtout on ne peut pas affirmer de lien causal. Est-ce que des idées rendraient dogmatiques ou est-ce que les profils les plus conspirationnistes vont être attirés par certains milieux plus que d’autres ? Dans le premier cas, on en retiendrait qu’il est plus prudent de se rapprocher du centre, dans le second qu’il faut travailler son ouverture d’esprit pour mieux défendre ses idées. Tandis que cette première partie se termine, ces questions resteront en suspend.
2/ Les affirmations dogmatiques à l’épreuve des faits ?
La seconde partie de la conférence nous présente une série d’affirmation que PWE va chercher à confirmer ou infirmer avec des données de la recherche. Ces trois affirmations seraient idéologiques car apparemment personne n’aurait jamais essayé de les sourcer avant, je suppose. Comment elles ont été sélectionnées, est-ce qu’elles sont représentatives de quoi que ce soit ? Ça je n’en sais rien.
A/ Pensée analytique : le diable est dans les détails.
La première affirmation serait donc la prévalence des facteurs sociaux dans le complotisme. L’idée que les biais cognitifs ou les traits de personnalités seraient secondaires dans le fait que les gens deviennent ou non complotistes ; que ça serait avant tout une histoire de contextes socio-culturels particuliers.
Moi je pense que c’est beaucoup plus ces contextes socio-culturels qui vont être déterminants pour prédisposer au complotisme. Par exemple, le fait de grandir dans un milieu raciste va être un formidable terreau pour ensuite accepter la théorie complotiste du grand remplacement. Mais je pense qu’il y a aussi des facteurs psychologiques qui vont aussi être déterminants, qui nous prédisposeront ou non à une pensée conspirationniste, c’est pour ça que le travail de Jost est passionnant. Donc si je dis « la zététique à l’ancienne a trop voulu expliquer les phénomènes par les biais cognitifs uniquement, il faudrait élargir l’analyse aux autres facteurs », est-ce que mon opinion est incluse dans l’affirmation idéologique ou pas ?
Bref, je pars avec un a priori sur l’affirmation examinée, mais la recherche dessus m’intéresse quand même. PWE va mettre le focus sur un aspect d’une étude australienne, et nous dis ceci :
Ils ont essayé de tester l’effet de différents facteurs sur le complotisme. Des facteurs sociaux […] et [un facteur] cognitif : c’est la pensée analytique. Ce qu’on appelle la pensée analytique… c’est-à-dire pour celles et ceux qui connaissent : le système 2 dans les théories en psychologie cognitive. Et qu’est-ce qu’on trouve ? [Que oui] la pensée analytique, ici, prédit bel et bien.
Pascal Wagner-Egger, dans sa conférence au REC2023 (minute 13 environ)
Et alors là, on a deux problèmes. D’une part ça renvoie une image simplement fausse de système 1 et 2, et ensuite ça ne nous apprend rien, présenté de cette manière. La théorie évoquée ici c’est donc celle des 2 vitesses de la pensée : nos biais cognitifs naissent de notre traitement rapide de l’information. Nos intuitions permettraient d’avoir avec peu d’efforts des solutions « imparfaites mais satisfaisantes » (ces traitements intuitifs forment le système 1). La pensée analytique pourrait être définie comme la capacité d’identifier et de définir des problèmes, d’extraire des informations clés des données et de développer des solutions réalisables. À partir de notre mémoire de travail, on élabore des méthodes pour résoudre des problèmes que notre intuition seule n’a pas su résoudre (c’est le cœur du système 2).
Dans les grandes lignes, le public de la conférence connaît ce modèle, mais le problème n’est pas là. L’élément de définition qui manque, c’est que le modèle parle des deux manières de penser de tout le monde. Schématiquement, tout le monde pense avec les 2 systèmes, l’un ou l’autre selon le moment, selon le sujet. La pensée analytique est une compétence, qui n’est ni « l’absence de biais » ni « un système de pensée particulier ». Et d’ailleurs même si ça l’était et qu’on était capable de penser 100% logiquement, des croyances fausses aboutiraient toujours à des erreurs. À partir de là, il est nécessaire d’expliquer un peu plus ce qui est mesuré par l’étude, ce que PWE ne prend pas le temps de faire. Vous vous dites peut-être que je cherche la petite bête, mais que l’étude qui est présentée reste pertinente malgré tout. Soit, je vous propose donc un extrait de la conclusion de cet article.
Bien que ce motif épistémique soit un corrélat significatif de la croyance complotiste, les fonctions existentielles et relationnelles peuvent être plus significatives encore. Les analyses de poids relatifs suggèrent, au moins pour nos exemples de motivation choisis, que les motivations relationnelles (anomie et désillusion à l’égard du gouvernement), ainsi que certaines motivations existentielles (confiance et idéologies religieuses) semblent être relativement plus importantes pour prédire la croyance complotiste que la théorie épistémique (pensée analytique). Nos résultats reflètent la nature complexe des croyances complotiste et indiquent que de multiples motivations existentielles et relationnelles sont essentielles pour comprendre qui croit aux théories du complot, et pourquoi.
Extrait de la conclusion de l’article de Marques et collègues, évoqué par PWE dans sa conférence[18]Traduction personnelle, les mises en gras sont de moi. Référence de l’article : Marques, M.D., Ling, M., Williams, M.N., Kerr, J.R. and McLennan, J. (2022), Australasian Public Awareness and … Continue reading.
Au premier visionnage de la conférence, il me semblait pourtant en avoir compris l’inverse : que PWE nous avait montré une source qui donne une vision multi-factorielle, mais avec un poids supérieur pour les facteurs cognitifs. Notez qu’il n’a pas dit que « la pensée analytique est LE facteur le plus significatif pour prédire le complotisme », il a dit que « ça prédit ». Je ne l’accuse donc pas d’avoir menti, simplement de prêter à confusion en ne parlant que de l’aspect analytique, ce qui laisse penser que c’est le facteur qui a le plus de poids. En l’occurrence, dans l’étude citée c’était la 6e variable la plus prédictive après l’âge, la religion, la confiance, la désillusion, et l’anomie. À partir de la même étude, on peut donc défendre une prévalence des facteurs sociaux et existentiels sur les facteurs cognitifs ! Bunker D a remis au propre le tableau de l’étude de Marques et al. pour montrer le poids relatif des différents facteurs, que voici[19]Pour plus de détails je vous renvoie à une discussion entre l’auteur et Bunker D sur Twitter : https://twitter.com/Bunker_D_/status/1755397927613452414/photo/2.
On semble avoir là une confusion entre ce que PWE voulait montrer, ce que l’étude présentée conclut et ce que les gens vont en retenir au final. L’auteur aurait pu garder les mêmes diapositive et dire « oui, ça se confirme que le cognitif a l’air secondaire, de ce qu’on en sait », mais non. Il a rétropédalé pour dire qu’il voulait bien débunker l’affirmation, mais en la modifiant après-coup pour la rendre exclusive. L’étude permet de prouver qu’il existe plusieurs facteurs dans le complotisme, y comprit le facteur de la manière de pensée. En faisant ça son argumentaire tient la route, mais ça crée deux problèmes. D’une part ça induit que le public de la conférence aura été induit en erreur, d’autre part ça fait se demander a quoi il souhaitait répondre avec cette conférence. Quelqu’un qui ferait cette affirmation 1 en citant des études comme celles de Marques ne serait plus dans l’idéologie si on suit les définitions de PWE, alors que lui persiste à traiter cette affirmation comme plutôt fausse. Je vous ai fait un schéma pour résumer ce passage, mais on en reparlera à la fin.
Mais sans même aller dans les définitions, le détail de l’étude, tout ça, moi il me manque un point crucial dans cette histoire. Vous savez pourquoi on parle plus de pensée critique que d’esprit critique dans la recherche ? C’est parce qu’on a un peu arrêté de chercher les critères pour distinguer les « bons et les mauvais cerveaux ». Les critères pour définir la pensée critique sont là pour savoir « si on fait preuve d’un raisonnement critique sur le sujet X », donc c’est toujours un peu contextuel. En ne rappelant pas cette idée, et en disant juste pensée complotiste OU analytique, on retrouve une binarité des « bons et des mauvais cerveaux » qui est assez absente de la recherche.
PWE résume cette section en disant « qu’il y a la fois des facteurs cognitifs et des facteurs sociaux en jeu dans le complotisme ». C’est bien vrai, mais là encore… so what? Dans le milieu zététique et des débunkeurs, on a historiquement mis l’accent sur les facteurs cognitifs et très peu sur les facteurs sociaux[20]https://zet-ethique.fr/2023/04/03/que-faire-de-la-zetetique-1-3/. L’affirmation de départ aurait pu être : « La vraie cause du complotisme sont les biais cognitifs, les autres aspects sont secondaires. » Avec la même source, on aurait pu faire un débunk similaire mais en partant d’une position beaucoup plus répandues, et sans les confusions ou les contre-sens, mais non. Là, avec cette manière de présenter les choses et le rétropédalage après-coup, on se retrouve juste avec un chercheur qui est venu renvoyer l’image inverse de l’état actuel de la recherche.
B/ Quelle vision de l’esprit critique ?
Ensuite, on passe à une seconde proposition dogmatique qui serait que « pour combattre les croyances, les biais cognitifs sont insuffisants ». Cette phrase, prise littéralement, ne fait pas vraiment sens. Je la complèterai donc ainsi : « Pour combattre les croyances erronées, éviter les biais cognitifs est insuffisant. »[21]Je précise qu’on parle de croyances « erronées », car les « croyances » en général sont ce qu’on tient pour vrai, y compris quand c’est à raison (vrai et … Continue reading. Apparemment ici les revues de littératures et méta-analyses ne sont plus de rigueur puisque les données ont été prélevées dans un travail des étudiants de M. Wagner-Egger, dans une enquête faite en ligne sur 400 participants. Déjà que le travail pour identifier et retrouver les sources est plus que laborieux avec un PowerPoint si chargé, là c’est simplement impossible d’avoir accès aux détails de la méthode, de l’échantillon… Mais bref, passons.
L’étude en question était un questionnaire permettant de faire ensuite des croisements statistiques. On demande de se positionner sur plusieurs questions fermées, ça donne 5 variables (ne me demandez pas lesquelles, on n’a pas accès aux détails) pour voir laquelle expliquerait le mieux la croyance au paranormal. Et vous sentez venir la suite : le fait d’avoir une pensée analytique développée ou non est le facteur le plus prédictif. Ensuite PWE nous parle d’une autre étude, apparemment faite sur 237 étudiants en info-com et cette fois sur le complotisme, aux résultats similaires.
Moi, je ne suis pas contre ces résultats sur le fond, puisque corrélation n’implique pas causalité. Mais vu qu’on ne parle pas d’une étude accessible à la lecture, et qu’on a testé que le paranormal et le complotisme, en quoi ça nous informe sur comment « combattre les croyances [erronées] », en général ? Déjà, je me demande ce qui a été testé comme croyances complotistes ou au paranormal. Est-ce qu’observer ces corrélations nous aide à agir sur nos biais ou notre pensée analytique pour vraiment combattre ces croyances-là ? Est-ce que connaître le fonctionnement des biais cognitifs permet de les éviter et de rendre beaucoup plus vraies nos intuitions ? Est-ce que pour faire preuve d’esprit critique, il suffit d’utiliser sa pensée analytique, ou ça demande des connaissances précises ? Est-ce que ces gens ont moins d’énergie pour utiliser leur pensée analytique[22]Cette question ne me vient pas de nulle part. Il y a un article (pas mal cité) qui propose la théorie suivante : la propagation de fake news est plus le résultat d’un manque d’énergie … Continue reading ? Est-ce que c’est une question de « traits de personnalité », sur lesquels on pourrait finalement peu intervenir ?
Sans réponses à ces questions, l’affirmation idéologique ne peut pas être validée ou débunkée. Mais une chose est souvent mise en avant dans la recherche sur la pensée critique : il faut juger le processus de pensée et pas uniquement le résultat. Autrement dit, savoir que des gens n’adhèrent pas au paranormal n’implique pas qu’ils aient eu un raisonnement critique sur le sujet, et inversement. En bref : faire des corrélations sur une compétence comme la pensée analytique ne nous dira au final pas grand chose. C’est un reproche qui est fait aux chercheurs comme Wagner-Egger d’ailleurs : de trop vouloir focaliser sur un aspect, une seule variable clé qui expliquerait tout[23]Des chercheurs comme Gérald Bronner qui, je pense, usent trop souvent de l’explication mono-causale d’un défaut de rationalité. Plus d’informations dans cet article : … Continue reading, alors que la pensée critique c’est complexe.
En général, une personne qui est experte et qui a étudié un domaine pendant des années sera toujours meilleure et aura un esprit plus critique dessus —même si elle n’a jamais étudié l’esprit critique, même si elle n’a jamais étudié les biais— que la personne qui connaît juste tous les bais cognitifs/arguments fallacieux.
Charlotte Barbier, chercheuse sur l’éducation à l’esprit critique, dans une table ronde aux REC à laquelle a participé PWE : La chasse aux biais cognitifs : compétence nécessaire ou fausse bonne idée ?
Mais on en revient à la question au centre de cette conférence : est-ce que les zététiciens ont eu raison de se focaliser sur l’étude des biais cognitifs pour développer l’esprit critique, ou pas ? Attendez un peu, la suite pourrait vous surprendre…
C/ Mes adversaires sont des idéologues, même les chercheurs
La dernière affirmation est que les biais cognitifs ne seraient pas des invariants du cerveau mais des artefacts contextuels. Que finalement cette notion de biais universels qui viendraient du fonctionnement de nos cerveau à tous, on l’aurait mal comprise. Là je ne suis pas 100% sûr de voir à quoi PWE souhaite répondre, mais j’ai une théorie. Je pense qu’il fait ici référence aux travaux critiques du modèle biais/heuristiques, comme ceux de Almaraz[24]Fernandez-Berrocal, P., Almaraz, J., & Segura, S. (1996). How to reconsider the base-rate fallacy without forgetting the concept of systematic processing. Commentary on “The base-rate fallacy … Continue reading, Pennycook[25]Pennycook G, Rand DG. Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition. 2019 Jul;188:39-50. ou de Gigerenzer[26]Gigerenzer, G., & Selten, R. (1999). Rethinking rationality. In Gigerenzer, G. & Selten, R. (Eds.), Bounded rationality: The adaptative toolbox. Cambridge: MIT Press.. Je n’ai pas trouvé de meilleures interprétations de ce dont il parle, mais puisqu’il en a parlé dans un de ses articles sur la rationalité ça ne me paraît pas si déconnant.
Et partant de là… l’étude qui est présentée n’a aucune importance. En l’occurrence c’est une étude qui aurait étudié les biais cognitifs chez des d’étudiants, montrant que ces biais seraient tous liés les uns aux autres et présents en permanence[27]Les tableaux présentés viennent d’un livre coécrit par Stanovitch auquel je n’ai pas eu accès, donc je ne jugerai pas du travail. Mais j’en ai un mauvais préjugé car ça semble souffrir … Continue reading. Mais est-ce que vous voyez le problème de la structure argumentative ici ? PWE disait que les affirmations étaient idéologiques, assénées sans preuves. Mais si ce sont des thèses défendues par plusieurs chercheurs reconnus, ce n’est plus un sujet de débats entre zététiciens, c’est un débat d’experts ! Pourquoi alors essayer de chercher une étude qui infirmerait ou confirmerait l’affirmation[28]Comme PWE le rappelle souvent, des articles qui parlent des biais cognitifs et de la rationalité humaine il y en a des milliers. À partir de quand une prise de position dans ce débat peut être … Continue reading ? PWE a évidemment le droit d’avoir une opinion qui penche vers un côté du débat, mais dans ce cas il prend position, et sa posture de neutralité face aux idéologues n’est plus du tout respectée. Sa posture devient celle d’un expert des biais cognitifs, sortant de son domaine de compétence, qui affirme un avis dans le champ de l’esprit critique, dans lequel il est minoritaire.
Allons plus loin, et allons voir ce que disent les expert·e·s, justement. Il y a des personnes dont c’est le travail de se demander ce qu’est la pensée critique et comment la transmettre. Et iels peuvent débattre sur l’intérêt d’apprendre des listes de biais ou de sophismes, de focaliser sur les dispositions, les croyances épistémiques, etc. Ce sont des débats intéressants mais toujours complexes, donc il est difficile d’expliquer ce qui ferait consensus sur cette question de connaître les biais cognitifs pour développer la pensée critique. Mais pour résumer en très gros, soit « c’est pas prouvé que ça marche »[29]Je veux dire par là que seul un très petit nombre d’articles s’intéresse aux liens théoriques entre biais cognitifs et esprit critique, donc on ne peut pas affirmer grand-chose. West, R. F., … Continue reading, soit « c’est plutôt une mauvaise idée de miser là-dessus ».
Une revue systématique de la littérature scientifique s’est intéressée aux solutions de “débiaisage”[30]Je paraphrase ici la Synthèse sur les recherches autour de l’esprit critique réalisée par le collectif Ephiscience qui voulait justement rendre accessible l’état de la recherche sur … Continue reading. Un résultat mis en avant par les chercheurs est que les outils et stratégies qu’on peut apprendre en donnant des exemples de biais ne sont pas transférables à d’autres contextes. Si le but est de développer une pensée critique plutôt générale, il faut donc chercher ailleurs. Une des rares sources scientifiques qui promeut l’éducation aux biais cognitifs pour la pensée critique expliquait que ça avait un intérêt pour développer la métacognition[31]Maynes, J. (2015). Critical thinking and cognitive bias. Informal Logic, 35(2), 183-203.. Ironiquement, ce travail se fonde sur les théories de la rationalité écologique, c’est-à-dire une approche qui n’est pas celle de PWE.
Selon les tenants de l’approche de la rationalité écologique, les heuristiques constituent une stratégie efficace pour prendre des décisions “au doigt mouillé” dans une situation d’incertitude. […] La recommandation éducative qui émane de cette théorie est donc la plus simple : ne rien faire face aux biais !
Collectif de chercheur·eurs sur l’esprit critique, dans la Synthèse sur les recherches autour de l’esprit critique
Je le redis : qu’on soit d’accord ou pas avec ces chercheurs et chercheuses, ou avec le résumé que je vous en fais, c’est finalement pas si important. L’important c’est de savoir qu’il y a des données, des arguments, scientifiques et robustes, pour soutenir le fait que « l’approche par les biais » n’est pas la meilleure possible pour développer l’esprit critique. Balayer tout ça et expliquer qu’il n’y a qu’une approche valable, et que si on est pas d’accord on est uniquement « dans l’idéologie », c’est faire une caricature énorme de l’état de la recherche.
3/ Une conclusion de vulgarisateur ?
La seconde partie de la conférence de Pascal Wagner-Egger a donc été l’occasion de débunker des hommes de paille, de faire dire à la littérature scientifique l’inverse de ce qu’elle dit réellement, ou au mieux de brasser de l’air avec. Qui parmi les spectateurs de la conférence ne savaient pas que le complotisme est multi-factoriel, ou que les biais cognitifs sont utiles pour comprendre la formation des croyances ? La posture adoptée ressemble à un débunk, une critique des idées reçues qui ne semblent basées sur rien. Mais pour chacune des trois affirmations, on peut retrouver assez facilement des données de recherche qui confirment leur pertinence au contraire.
On se demande aussi quel est le rapport avec ce qui était raconté en introduction. Parce que pour l’instant les thèses critiques de la zététique, comme celles que font le collectif Zet-éthique Méta-critique[32]D’ailleurs le collectif est en train de changer progressivement de nom pour s’appeler désormais Zone d’échanges Métacritiques, puisqu’il ne fait pas uniquement de la critique … Continue reading, ne sont pas mises à l’épreuve, c’est même ironiquement l’inverse. Pour rappel, PWE parlait au début des idéologues qui affirmaient des choses sans les sourcer à propos des croyances/de l’idéologie. On n’a pris aucun cas réel, on doit juste le croire sur parole dans le fait que « des gens, dont ZEM, font ça ». Ce qui est un peu malhonnête quand même : je n’ai jamais entendu un membre de ce collectif prétendre des choses comme « les croyances ne sont QUE le fruit de facteurs sociaux, et les aspects cognitifs n’ont aucun rôle »[33]Comme souvent, les critiques de ZEM interprètent mal les phrases comme « tout est politique » ou « le contexte social a toujours une influence ». Je suis en train d’écrire un article dédié … Continue reading.
Au contraire, leur site regorge d’articles de qualité, qui vont des fois vulgariser des choses (donc ce ne sont pas des affirmations sans preuves), des fois proposer une réflexion de fond (ce qui demande des arguments mais pas forcement des « sources »). Ces articles sont fouillés, et qu’on soit d’accord ou pas, iels font exister un discours cohérent sur le fait qu’il y a des passerelles fortes qui se créent entre les idées d’extrême droite et certains pans du rationalisme et de la zététique[34]Là-dessus on peut noter que la zététique centriste a eu plus conflits avec ZEM qu’avec des gens identifiés à l’extrême droite, même si c’est des catégories floues pas très … Continue reading. Et bien souvent le problème épistémique de l’extrême droite c’est qu’ils ont des sources de merde et/ou mal comprises, ce n’est pas qu’ils auraient aucunes.
La distribution des bons et des mauvais points n’aura pas été l’occasion de critiquer cet entrisme de l’extrême droite, ou d’en critiquer les thèses. Au contraire, PWE se permet même de réciter ZEM pour bien rappeler qu’iels seraient trop idéologiques. En termes d’argumentaire, la structure de la conférence semble donc être la suivante :
- Cette étude suggère que les extrémistes politiques ont plus de chances d’être complotistes.
- Beaucoup de paramètres dans cette étude, les croyances dépendent de plein de critères : cognitifs, culturels, etc.
- Plus généralement y a des biais liés à toutes les croyances, pas uniquement dans le complotisme.
- Donc ZEM sont dans l’idéologie, ils feraient mieux de s’auto-critiquer.
Que vous aimiez ou pas ce que propose ZEM, vous ne trouvez pas que cette structure est défaillante ? On peut être en désaccord avec eux, mais dire qu’ils n’ont aucune source, sans examiner ce qu’iels défendent vraiment, c’est la définition de l’homme de paille.
PWE conclut enfin grâce à ChatGPT que la zététique est fondée sur la vérification, et donc elle doit s’habituer à vérifier les affirmations factuelles, même en SHS. Que même si le sujet est politique, parler à partir de données scientifiques est plus intéressant que de parler uniquement à partir de son idéologie. Outre le fait que je cherche encore l’intérêt de ChatGPT pour dire un truc aussi bateau, ça montre que le sujet intéressant de l’intro à disparu : en quoi mieux comprendre l’idéologie ça aide à développer une pensée plus critique ? C’est peut-être que moi, mais une conférence où on parle d’études sur le complotisme, ça n’implique pas qu’on ait traité la question de la pensée critique ou de l’idéologie, qui sont des sujets connexes, mais différents. Et en tant que chercheur, je pense que PWE connaît les définitions et devrait comprendre l’intérêt de ne pas utiliser les termes n’importe comment. Il aurait pu défendre à-peu-près les même thèses et faire une étude de cas sur le complotisme, ça aurait pu être très pertinent parce que plus cadré, mais même pas.
Cette conférence devait être l’occasion de dire que tout le monde a une idéologie, les zététiciens n’y échappent pas. À partir de ça on aurait vraiment pu proposer une réflexion intéressante, mais aucune définition sérieuse de l’idéologie n’a été faite, on répétera juste l’idée que l’idéologie c’est mal, et que ça n’a rien à voir avec la science. L’idéologie politique se niche partout, c’est donc important de la connaître, parce que notre manière de recevoir les données sera conditionnée par ce prisme[35]Sur ce sujet, un des meilleurs articles que vous pourrez lire sera sur ZEM je pense : https://zet-ethique.fr/2021/02/06/des-biais-de-lideologie-et-des-biais-ideologiques-partie-1-testez-vos-biais/ … Continue reading. Les données scientifiques sont orientées dès leur récolte par les choix méthodologiques du chercheur, d’où le fait que les sciences apportent une grande importance à la discussion collective pour croiser les points de vue.
À l’inverse, assener que la science est une méthode simple qui permet de connaître facilement des vérités immuables et indiscutables n’est plus du tout une position acceptée en philosophie des sciences[36]Pour plus de détails sur les débats récents autour des rapports entre faits et valeurs, voir : Putnam, Hilary. The Collapse of the Fact / Value Dichotomy: And Other Essays. 1. paperback ed., 3. … Continue reading. Non seulement PWE n’a pas dit dans sa conférence qu’on a tous ce prisme, mais en plus il laisse croire qu’on peut y échapper facilement, grâce aux données scientifiques qui échapperaient magiquement à la société et ses influences. Pire : il participe à discréditer ceux qui voudraient se saisir de ces sujets en assumant un point de vue située, avec des expressions comme « être dans l’idéologie ». Au contraire, je pense que ma vigilance à ne pas tordre la réalité par idéologie vient précisément du fait que je sais que je suis un militant avec une idéologie.
Au final, je pense que j’ai un problème avec cette conférence pas tant sur le fond, mais parce que je pense que c’est de la très mauvaise vulgarisation. Au-delà des bugs techniques pardonnables ; les slides sont surchargées, les sources s’enchaînent sans être contextualisées, on mélange les termes, la thèse est soit floue, soit sans rapport avec le contenu des sources… Et au final l’ensemble s’apparente à de la désinformation scientifique. Même en restant charitable, et en imaginant ce que ça aurait donné avec plus de temps pour présenter les sources et leurs limites, la structure argumentative reste mauvaise. Et en attendant le public qui regarde, il est toujours conforté dans cette idée que l’idéologie c’est l’inverse de l’esprit critique, quoi que ça veuille dire.
J’aurais aimé pouvoir changer d’avis sur certains sujets grâce à cette conférence, mais finalement elle ne recycle que des arguments que j’ai déjà vus avant, et pas de la meilleure manière. Si même un chercheur qui travaille si souvent sur la notion de biais cognitifs n’arrive pas à me convaincre de leur intérêts, qui le pourra ? Si pour moi le harcèlement et la diffamation dont sont victimes les membres de ZEM est un problème, est-ce que cette conférence n’est pas carrément dangereuse ? Pour d’autres à l’inverse, ZEM sont toujours des comploteurs qui infiltreraient la zététique pour recréer des goulags wokistes. Est-ce que Pascal Wagner-Egger a pu aider à questionner leurs certitudes idéologiques ?
Je reste sceptique.
Compléments : charité interprétative inégale.
J’ai beaucoup douté durant l’écriture cet article, parce qu’à chaque phrase j’essayais toujours de garder en tête que c’est une conférence de vulgarisation. Quand on est en direct, on peut s’emmêler les pinceaux, dire des phrases qui sont mal formulées ou faire des contre-sens, et ça arrive à tout le monde, moi le premier. En gardant ça en tête, il faut pouvoir faire preuve de charité intellectuelle dans nos critiques, et ne pas chercher à traquer la moindre petite faille de raisonnement ou de formulation. Une fois cette charité appliquée, les problèmes persistants méritaient je pense un article.
Pour affiner cette charité j’ai voulu contacter M. Wagner-Egger par mail, qui a accepté de répondre à quelques-unes de mes questions et je l’en remercie. Je voulais surtout savoir comment il avait pensé le fil rouge de sa conférence, ce que les spectateurs devaient en retenir. Il m’a expliqué que c’était la démarche appliquée : prendre des idées reçues sur les militants, l’axe gauche/droite, et montrer que c’étaient des sujets d’études, qu’il y avait des résultats scientifiques pour appuyer certaines affirmations factuelles. Ainsi on améliorerait les débats parce que chacun s’habituerait à utiliser les données. Chacun sera juge de si la mission est remplie, de si le message est clair, etc. Personnellement je pense que la manière dont les sources sont vulgarisées ne permet pas de développer la pensée critique, par exemple lorsque les sources sont inaccessibles, la méthodologie à peine présentées, et que les conclusions de l’étude sont différentes du propos. La posture qu’il a eu me parait assez problématique[37]Je parle ici de la posture « d’aller chercher les donnés pour trancher un débat ». Quand bien même il aurait trouvé des sources qui aurait permit de vraiment débunker les affirmation … Continue reading.
Pour prendre un exemple qui est dans la conférence, je cherche encore à savoir qui adhère à l’affirmation « le complotisme à 0% rapport avec les biais cognitifs et 100% avec des facteurs sociaux ». PWE explique que c’est à cette affirmation qu’il répond en partie 2, mais est incapable d’apporter la preuve que c’est une affirmation rependue. Et quand bien même on trouverait des gens qui pensent vraiment ça, y associer ZEM reste diffamatoire. En l’interrogeant pour voir à qui il répond dans ce passage[38]L’affirmation idéologique présentée dans la conférence était pour rappel « La vraie cause du complotisme est sociale, les biais cognitifs sont secondaires ». Comme on l’a vu en partie 2B, … Continue reading, on comprend qu’il pensait à Marie Peltier, qui est loin d’être une source principale de ZEM, mais soit. Elle ne parle quasiment jamais de biais cognitifs, mais elle n’a jamais dit à ma connaissance que « les biais cognitifs ne jouent aucun rôle dans le complotisme ». Effectivement, elle pense que ce n’est pas le secteur qu’il faudrait investir en priorité, mais sa position est caricaturée pour lui faire dire complètement autre chose.
On peut donc résumer ça en plusieurs étapes, qui partent de divers déformations et qui risquent de renforcer des dynamiques de harcèlement dans le futur. Qu’on aime on qu’on n’aime pas les protagonistes de cette affaire, ce n’est pas en déformant à outrance les propos comme ça nous arrange qu’on pourra élever le débat sur l’esprit critique.
Quand on prétend vulgariser « la recherche » je trouve ça problématique de ne pas préciser qu’on ne parle toujours que d’un aspect précis, ici d’études en psychologie expérimentale[39]Et je me permets d’insister une dernière fois sur ce point : la pensée critique n’est pas réductible à une histoire de « croire ou ne pas croire à tel trucs », c’est … Continue reading. Cette conférence est un cas d’école de comment on peut influencer un débat sur l’esprit critique en sélectionnant les donnés qui vont le plus dans notre sens. A minima, il aurait fallu parler des limites des études citées, être plus prudent sur les conclusions, etc. Une fois que je remonte les différentes sources présentées, j’ai du mal à ne pas y voir une confirmation de ce que je pensais avant : les facteurs cognitifs ne devraient pas être la priorité, là où PWE dit que si ça devrait en rester une[40]Il prétend que l’étude de Marques montre que « la cause du complotisme est environ autant sociale que psychologique », mais vu que c’est plus facile d’agir sur l’aspect … Continue reading. Je ne veux pas l’accuser de raisonnement motivé pour légitimer son propre travail, mais avouez que ça y ressemble beaucoup, non ?
Et avouez que cette situation est injuste : on critique les gens comme ZEM sans essayer de vraiment comprendre et présenter ce qu’iels disent, mais il faut constamment lire entre les lignes de ce que dit PWE pour lui faire dire des choses à peu près acceptables pour un chercheur. Et ce n’est pas la première fois que ZEM ou d’autres sont victimes de ça, de ce deux-poids deux-mesures et de ce genre de désinformation, de la part de personnes qui connaissent les dangers du raisonnement motivé et des arguments fallacieux. Qui se permettent ensuite de donner des leçons pour débattre plus rationnellement, là où eux ne s’embarrassent même pas de comprendre vraiment ce que disent leurs critiques.
Je remercie Chayka pour m’avoir fait découvrir Jost et la psychologie politique, et Charlotte Barbier pour la littérature spécifique de l’esprit critique. Merci à Lou Girard, Bunker D, Lux, Enthalpiste, Pleen Le Jeune et Gwen Pallarès dont les conseils et discussions ont inspirés certains passages du présent article. Un grand merci à Bunker D pour sa grande contribution à la relecture.
Au sujet de sa réponse :
Mr Wagner-Egger a publié une très longue réponse sur son blog : https://perso.unifr.ch/pascal.wagner/la-methode-zems/
Je ne vais pas y répondre en détail, parce que ça serait vraiment trop long, et surtout parce que ça serait très redondant avec ce que je raconte dans mon article.
Il refait toutes les erreurs, les procès d’intentions de Zem sans les citer correctement, les phrases trop longues qui rendent le propos confus, des réponses très générales qui peuvent être vraies mais qui ne répondent pas aux reproches qu’on lui fait, etc. L’argument qui revient le plus souvent étant qu’il est chercheur spécialisé dans les questions de biais cognitifs et moi pas. Ce qui est vrai, personne n’a affirmé le contraire d’ailleurs. Mais même en le répétant une vingtaine de fois, ça ne sera pas une réponse au fait par exemple qu’il a fait passé une étude avec un W pour une méta-analyse avec un U.
J’avais formulé UNE demande : qu’il réponde à mon article, c’est-à-dire sans mélanger des trucs qui ont rien à voir et en me prêtant pas des pensées qui ne sont pas les miennes. Dès le titre, « la méthode ZEMs » on comprend que c’est un peu raté. Surtout que ça crée une arborescence : même s’il y a des débats et arguments qui pourraient être intéressants dans sa réponse, l’échange constructif ne peut plus avoir lieu maintenant. Si on mélange plein de sujets et qu’on ouvre plein de dossiers sur plein de gens différents, à la fin c’est impossible de répondre et de tout suivre.
ERRATUM
Le graphique « des 3 hypothèses » cité dans la partie 1B, je le pensais avoir été créé par Mr Wagner-Egger, alors qu’il vient de l’article de Jost cité. Je reconnais donc l’erreur 8 que me reproche sa réponse. Celle-là, et le fait que j’ai choisi ce titre d’article, un peu racoleur il faut l’avouer. Mais en même temps un titre genre « analyse de la conférence de Wagner-egger au festival REC 2023 sur l’idéologie, perspective et analyse, mais attention sans sources qui traitent de l’idéologie » c’était un peu long. Sa thèse étant bien que la recherche quantitative dans son ensemble permet de diminuer ses a priori idéologiques, pas seulement la recherche sur les biais.
Vous trouverez sur ma chaîne une version vidéo avec quelques modifications/rajouts ça et là :
Quelques liens complémentaires
La petite histoire des méta-analyses – Adrien Fillon https://www.youtube.com/watch?v=d_wgxI5Gm7w
Le linktree pour découvrir Adrien Fillon : https://linktr.ee/adrienfillon
Au sujet de la relecture et de la seule erreur qu’on reconnaît : https://twitter.com/Enthalpiste/status/1777064970401784173
Au sujet de la vidéo qui « prouverait scientifiquement un harcèlement de la part de ZEM », vidéo débunké ici : https://twitter.com/ZetEthMeta/status/1575154101901574146
Exemple d’un article du site ZEM : https://zet-ethique.fr/2020/02/20/les-gens-pensent-mal-le-mal-du-siecle-partie-1-6-critique-du-concept-de-biais-cognitif/
Mon article sur les sondages : https://tranxen.fr/le-traitement-mediatique-des-sondages/
Ma série sur le militantisme : https://www.youtube.com/watch?v=0TSfsXjc-Ws&list=PLWR0v8LhS6yCOxRAIzbEfDYgPhXyBLkw5&index=7
5 idées sur les sciences : https://www.youtube.com/watch?v=Shycy6LHE6c
Dominique Vicassiau à fait une analogie intéressante : https://twitter.com/DominiqueV_EPP/status/1777072918150713670
Recueils de témoignages sur les personnes dégoûtées de la zététique suite au harcèlement qu’elles ont pu subir dans ce milieu : https://twitter.com/Vinteuil_LTP/status/1754524118932742600
Zététiciens en ligne : les nouveaux militants pour la science | Le Malin Génie feat. Patchwork https://www.youtube.com/watch?v=1seF7u3Y5to
Réferences
↑1 | Le festival REC a mis en place un super outil, très utile pour les gens comme moi. En plus de la conférence, il propose de rendre accessible les diapositives via un lien dans la description des replays. Vous pouvez donc télécharger le PowerPoint de Pascal Wagner-Egger ici : https://rectoulouse-drive.mycozy.cloud/public?sharecode=JgtJv0Em9nNi |
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↑2 | Vous pouvez aller voir ma première conférence sur les tensions dans le milieu sceptique. La seconde n’a pas encore eu de captation, mais je vous renvoie à mon asso, Mythodologie. |
↑3 | J’aime cette expression car je pense que beaucoup d’aspects découlent du manque de culture politique. Certains ont pu faire remarquer que ça ressemblait un peu à Gestapo, et évidemment loin de moi l’idée de faire un raccourci aussi malsain. Mais aucun mot s’en rapprochant ne me satisfait. Je vais donc, par souci de clarté, le garder. Gardez en tête qu’il s’agit d’une caractérisation simplifiée, similaire à l’idée d’idéal-type. |
↑4 | Je rappelle quand même que la première association revendiquée zététique était le Cercle Zététique. Cette association a subi une série de scission parce que son président était d’extrême droite et soutenait des négationnistes. Faire ce narratif des extrémistes qui débarquent dans un milieu où les tensions politiques seraient absentes, je trouve que c’est assez discutable. |
↑5 | Vous pourrez voir dans la description de la vidéo ma définition de gauche et de droite. Vous verrez que cette définition a un double aspect contextuel et substantiel. Si on accepte l’aspect contextuel, ça me parait capital de se rappeler que gauche et droite ne recouvrent pas les mêmes choses en fonction des pays, des périodes, etc. |
↑6 | En l’occurrence, je penche plutôt pour le « ou pas ». Dit autrement : n’importe quelle idée peut être défendue de manière extrême : https://www.youtube.com/watch?v=B43IZ7JXsFk |
↑7 | Dans cet article je parle surtout des personnes et de leurs idées réelles, et non de comment elle se déclarent. Si par exemple on mesure le niveau de racisme d’une personne et elle obtient un score très haut, elle sera classée à l’extrême-droite et vue comme réactionnaire. Si une personne obtient un score très bas, elle sera classée plus à gauche, plus progressiste. |
↑8 | Au sujet de la « cognition sociale motivée » avancée par les auteurs, ces derniers écrivent : « Cela ne veut pas dire que le conservatisme serait pathologique ou que les croyances conservatives seraient nécessairement fausses, irrationnelles ou injustifiées. Selon le point de vue adopté ici, la plupart des croyances humaines sont subjectivement rationnelles, dans le sens où elles sont déduites d’un ensemble de prémisses auxquelles les croyants adhèrent […], et sont aussi au moins en partie sensibles aux contraintes de la réalité […]. En ce sens, le conservatisme de toute personne peut bien être justifiées, en ce qu’il est logiquement ou psychologiquement lié à d’autres observations, valeurs, croyances et prémisses. En même temps, l’adhésion à des principes et les raisonnements syllogistiques (ndlr : logiques) ne surviennent pas dans un vide motivationnel, mais plutôt dans le contexte d’une variété virtuellement inévitable de motivations personnelles et sociales […] qui ne sont pas nécessairement sciemment accessibles […]. Ainsi, les attitudes politiques peuvent être en même temps justifiées […] et motivées. » |
↑9 | D’ailleurs tous les systèmes de croyances répondent à des besoins psychologiques individuels. C’est juste que ces besoins ne sont pas les mêmes selon les personnes au même moment de leur vie. Dans les exemples qu’on peut retrouver dans l’étude, on peut voir par exemple que la peur de la mort augmente avec l’âge, et avec lui un besoin de contrôle accru, qui se traduit politiquement par une plus forte attirance pour le conservatisme. |
↑10 | Comme disait la camarade Chayka, vulgarisatrice spécialisée en psychologie politique, on n’a jamais réussi à démontrer réellement l’existence d’un package du dogmatique-extrémiste-rigide-autoritaire qu’on trouve indistinctement à l’extrême-droite et à l’extrême-gauche. Plusieurs modèles théoriques ont été proposés et testés (Rokeach, Sidanius…), mais paradoxalement ces travaux ont surtout conduit à confirmer le lien entre autoritarisme/attitudes idéologiques de droite d’un côté, et flexibilité/idéologie d’extrême gauche de l’autre. Tiré de : https://www.hacking-social.com/2021/06/10/les-extremes-en-politique-pourquoi-ce-nest-pas-pareil/ |
↑11 | Résultats obtenus une première fois ici https://guilfordjournals.com/doi/10.1521/soco.2012.30.6.669 reproduit ensuite là : https://psycnet.apa.org/fulltext/2017-48712-001.html |
↑12 | Si vous voulez vous aussi les reprendre et vérifier ce qu’on raconte par la suite, on vous y encourage : https://osf.io/jqnd6/files/osfstorage |
↑13 | A noter que la première étude avait pour question « Please indicate your political orientation on a scale from left to right, very left-wing coded as 1 to very right-wing coded as 9 » et la seconde étude avait pour question « How would you place your own views on a scale from 0 to 10, where 0 is ‘left’ and 10 is ‘right’? ». |
↑14 | Ces résultats ont ensuite été croisés avec un indicateur lié aux votes où chaque parti qui est associé à un score (basée sur le CHES). Mais personnellement, un score qui place le PCF comme le parti le plus à gauche de France, je trouve ça hyper discutable : pour moi ils sont bien plus à droite que LFI, elle même plus à droite que le NPA, puis l’UCL, et on peut continuer comme ça encore longtemps. En fonction de son environnement, quelqu’un qui vote Mélenchon pourra se penser d’extrême gauche comme du centre-gauche. Ou on se pensera du centre parce qu’on aime Macron, alors qu’il mène une politique de droite. Tout une part de l’extrême gauche, par exemple anarchiste, n’est potentiellement pas couverte dans l’étude. De la même manière, il y a tellement de variantes de l’extrême droite que je ne sais pas ce qui est mesuré dans les hauts scores, et selon le pays ça peut être des choses assez différentes. |
↑15 | Ce qui est présenté dans la slide c’est deux graphiques de relations quadratiques. Faire des dérivations de ce style permet bien de voir le point on où arrête de descendre et qu’on commence à monter, mais seulement si on est certain d’avoir une courbe en U. Le concept même de Point d’inflexion repose sur le principe qu’on va caractériser une fonction dont on connais la forme, mais ce n’est pas le point d’inflexion qui nous permet de savoir si on a une courbe en U, en Λ, etc. Ce n’est qu’en sachant la forme qu’ensuite on va chercher à trouver le (ou les) point d’inflexion. En cas de courbe en W on pourrait avoir 3 points d’inflexions par exemple. Ce sont des outils difficiles à présenter au sein d’une conférence de 20 minutes, mais si WPE veut évoquer les graphiques de l’étude il a un devoir d’expliquer ce qu’ils disent réellement. |
↑16 | L’étude de Imhoff et ses collègues reprennent cette technique inventée dans un article dans lequel on peut lire (traduction personnelle) : « Le test à deux lignes devrait fonctionner correctement tant que la véritable relation d’intérêt comporte au plus deux régions où l’impact de x sur y a des signes opposés ; c’est-à-dire que la relation est soit (a) globalement plate (aucun effet), (b) monotone/faiblement monotone, ou (c) en forme de U. Cela ne fonctionnera pas bien, du moins en termes d’interprétabilité, si la relation réelle présente plus d’un changement de signe, par exemple si elle est en forme de N, de X ou de W, plutôt que de U. Il convient de noter que de telles relations invalident également l’interprétabilité des régressions quadratiques (sic). La ligne lisse non paramétrique qui accompagne la sortie générée par l’application qui exécute le test sur deux lignes peut être utilisée comme solution partielle à cette limitation, car elle alerte les utilisateurs si la relation a la forme d’un N, d’un X ou d’un W. ». C’est à se demander pourquoi le W apparaît dans l’étude mais que les auteurs ont décidé d’utiliser cet outil malgré tout… |
↑17 | Voir la vidéo du Stagirite à l’époque. D’ailleurs PWE était cité dans les sources de cette vidéo, c’est marrant. Ce qui est moins marrant, c’est qu’un chercheur présente les résultats de ces sondages comme valables. Comme si l’important c’était de trouver des U penchées et non de vraiment parler de l’état réel du débats scientifiques. |
↑18 | Traduction personnelle, les mises en gras sont de moi. Référence de l’article : Marques, M.D., Ling, M., Williams, M.N., Kerr, J.R. and McLennan, J. (2022), Australasian Public Awareness and Belief in Conspiracy Theories: Motivational Correlates. Political Psychology, 43: 177-198. https://doi.org/10.1111/pops.12746 |
↑19 | Pour plus de détails je vous renvoie à une discussion entre l’auteur et Bunker D sur Twitter : https://twitter.com/Bunker_D_/status/1755397927613452414/photo/2 |
↑20 | https://zet-ethique.fr/2023/04/03/que-faire-de-la-zetetique-1-3/ |
↑21 | Je précise qu’on parle de croyances « erronées », car les « croyances » en général sont ce qu’on tient pour vrai, y compris quand c’est à raison (vrai et justifié). Mais PWE utilise le terme « croyances » pour parler uniquement des croyances erronées. C’est assez courant chez les zétapos (où l’idée de « croyance » est alors typiquement opposée à l’idée de « connaissance » ou de « savoir »), malgré les problèmes conceptuels et épistémologiques que ça pose. D’une manière générale, il est dommageable que PWE manque ainsi de clarté dans son propos. Ça nous oblige à constamment reformuler ce qu’il dit. |
↑22 | Cette question ne me vient pas de nulle part. Il y a un article (pas mal cité) qui propose la théorie suivante : la propagation de fake news est plus le résultat d’un manque d’énergie disponible pour le cerveau que par les raisonnements motivés. Et je réponds tout de suite à l’accusation : adhérer à cette théorie n’implique pas que je défende l’idée que « le raisonnement motivé ça n’existe pas ». |
↑23 | Des chercheurs comme Gérald Bronner qui, je pense, usent trop souvent de l’explication mono-causale d’un défaut de rationalité. Plus d’informations dans cet article : https://aoc.media/opinion/2021/04/08/le-biais-bronner-ou-la-reductio-ad-cerebrum/ |
↑24 | Fernandez-Berrocal, P., Almaraz, J., & Segura, S. (1996). How to reconsider the base-rate fallacy without forgetting the concept of systematic processing. Commentary on “The base-rate fallacy reconsidered: Descriptive, normative, and methodological challenges” by J. J. Koehler. The Behavioral and Brain Sciences, 19,21–22. |
↑25 | Pennycook G, Rand DG. Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition. 2019 Jul;188:39-50. |
↑26 | Gigerenzer, G., & Selten, R. (1999). Rethinking rationality. In Gigerenzer, G. & Selten, R. (Eds.), Bounded rationality: The adaptative toolbox. Cambridge: MIT Press. |
↑27 | Les tableaux présentés viennent d’un livre coécrit par Stanovitch auquel je n’ai pas eu accès, donc je ne jugerai pas du travail. Mais j’en ai un mauvais préjugé car ça semble souffrir du même problème récurrent que les tests de quotient intellectuel : le réductionnisme psychologique. En effet les mesures de type QI ou CART (ce qui est testé dans le livre) sont souvent fondées sur des problèmes de logiques et leur résolution. Si on a l’habitude de faire des jeux d’énigme ou de logique, on arrivera à beaucoup mieux identifier les pièges, comprendre les énoncés, etc. Quelqu’un qui prend du plaisir à ce genre de jeux ou qui les voit comme un moyen de se valoriser socialement sera beaucoup plus motivé pour activer son système 2. Plus généralement, le passage au système 2 est souvent fait lorsque ça heurte nos représentations du monde, fortement liées à notre culture. Autrement dit : notre culture peut à la fois nous aider à comprendre et à être précautionneux là où c’est nécessaire, ou au contraire nous décourager à la réflexion critique. Si tu as été habitué à faire des jeux de logique parce que tu as des parents ingénieurs qui les valorisent, tu ne seras pas forcément plus intelligent ou rationnel, tu auras simplement eu un contexte social qui t’évitera certaines erreurs communes. Et comment on peut faire pour se soustraire du contexte social ? Si on fait des corrélations entre un test réalisé en laboratoire et un autre que les participant·e·s feraient chez eux, on n’a pas vraiment retiré le contexte du test et du questionnaire utilisé. Et ça c’est le problème de traiter les sujets comme la rationalité uniquement à la lumière de la psychologie sociale expérimentale. C’est un cadre intéressant, mais seul, il sera forcément limité. |
↑28 | Comme PWE le rappelle souvent, des articles qui parlent des biais cognitifs et de la rationalité humaine il y en a des milliers. À partir de quand une prise de position dans ce débat peut être considérée comme éclairée, une seule étude isolée ne prouvera pas forcément grand-chose. Son rôle de vulgarisateur aurait pu être de clairement dire « sur ce sujet, il y a débat. Moi je penche plus de ce bord-là ». Tandis que là, il donne plus l’image d’un consensus absolu et laisse entendre que tous ceux et celles qui ne seraient pas d’accord sont des idéologues sans aucune donnée. |
↑29 | Je veux dire par là que seul un très petit nombre d’articles s’intéresse aux liens théoriques entre biais cognitifs et esprit critique, donc on ne peut pas affirmer grand-chose. West, R. F., Toplak, M. E., & Stanovich, K. E. (2008). Heuristics and biases as measures of critical thinking: Associations with cognitive ability and thinking dispositions. Journal of educational psychology, 100(4), 930. |
↑30 | Je paraphrase ici la Synthèse sur les recherches autour de l’esprit critique réalisée par le collectif Ephiscience qui voulait justement rendre accessible l’état de la recherche sur l’esprit critique, ses liens avec les biais cognitifs, l’argumentation, etc. Je vous conseille fortement la lecture de cette synthèse, où beaucoup de sources sont compilées. Et pour la référence de cette revue de littérature, c’est : Ludolph, R., & Schulz, P. J. (2018). Debiasing health-related judgments and decision making: a systematic review. Medical Decision Making, 38(1), 3-13. |
↑31 | Maynes, J. (2015). Critical thinking and cognitive bias. Informal Logic, 35(2), 183-203. |
↑32 | D’ailleurs le collectif est en train de changer progressivement de nom pour s’appeler désormais Zone d’échanges Métacritiques, puisqu’il ne fait pas uniquement de la critique des dérives liés à la zététique. Pour résumer, le thème traité sur le site est l’instrumentalisation des sciences par les réactionnaires.) |
↑33 | Comme souvent, les critiques de ZEM interprètent mal les phrases comme « tout est politique » ou « le contexte social a toujours une influence ». Je suis en train d’écrire un article dédié à ça d’ailleurs. |
↑34 | Là-dessus on peut noter que la zététique centriste a eu plus conflits avec ZEM qu’avec des gens identifiés à l’extrême droite, même si c’est des catégories floues pas très quantifiables. Moi je trouve que ça corrobore quand même beaucoup l’idée que ces zététiciens centristes finissent toujours par être plus « anti-gauche » qu’autre chose. https://zet-ethique.fr/2021/02/19/defakator-morale-politique/ https://zet-ethique.fr/2020/09/30/des-dangers-de-la-naivete-politique-et-sociale/ |
↑35 | Sur ce sujet, un des meilleurs articles que vous pourrez lire sera sur ZEM je pense : https://zet-ethique.fr/2021/02/06/des-biais-de-lideologie-et-des-biais-ideologiques-partie-1-testez-vos-biais/ Résumé en vidéo ici par Liberty : https://www.youtube.com/watch?v=2lJLm4cmQmI |
↑36 | Pour plus de détails sur les débats récents autour des rapports entre faits et valeurs, voir : Putnam, Hilary. The Collapse of the Fact / Value Dichotomy: And Other Essays. 1. paperback ed., 3. print, Harvard Univ. Press, 2004. |
↑37 | Je parle ici de la posture « d’aller chercher les donnés pour trancher un débat ». Quand bien même il aurait trouvé des sources qui aurait permit de vraiment débunker les affirmation choisi, ça aurait été je pense insuffisant. Je vais prendre un exemple qui n’est pas dans la conférence. Beaucoup de personnes, sceptiques ou non, sont très hostiles à toute utilisation de l’écriture inclusive. Des vulgarisateurs et vulgarisatrices sont allés faire des revues de littératures de qualité sur le sujet, par exemple Scilabus, ou Bunker D. Est-ce qu’ensuite les débats ont été radicalement modifiés parce que des données scientifiques ont été rendues accessibles ? Non, parce que savoir qu’il y a des données scientifiques sur le sujet n’a au final qu’un impact marginal sur les opinions politiques des uns et des autres. Mais pour le comprendre, il ne faut pas rester en surface sur ce qu’est une croyance, et ne pas caricaturer ce que défendent les uns et les autres. |
↑38 | L’affirmation idéologique présentée dans la conférence était pour rappel « La vraie cause du complotisme est sociale, les biais cognitifs sont secondaires ». Comme on l’a vu en partie 2B, les études présentées ne pouvaient pas débunker cette affirmation, voire la confirmait. PWE a donc expliqué qu’il a en fait voulu critiquer l’affirmation « La vraie cause du complotisme est sociale, les biais cognitifs ne jouent aucun rôle ». Voir ici la citation complète : https://twitter.com/wagneregger/status/1755217165219778694 |
↑39 | Et je me permets d’insister une dernière fois sur ce point : la pensée critique n’est pas réductible à une histoire de « croire ou ne pas croire à tel trucs », c’est infiniment plus complexe que ça. |
↑40 | Il prétend que l’étude de Marques montre que « la cause du complotisme est environ autant sociale que psychologique », mais vu que c’est plus facile d’agir sur l’aspect cognitif (ah bon ?) il vaut mieux en faire la priorité. https://twitter.com/wagneregger/status/1755218621280682359 |
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