Comprendre les mécanismes qui régissent le monde…

Miniature de l'article "Une semaine pour comprendre la liberté d'expression en 2025, avec une photo de Mark zuckerberg, de Jean-Marie Le Pen et une pancarte "Je suis Charlie"

Une semaine pour la liberté d’expression en 2025

Difficulté : 2/5


Cette semaine a été marquée par trois événements qui soulèvent des questions cruciales sur la liberté d’expression en France et ailleurs. Petit tour d’horizon du local vers le plus global pour comprendre ce qui se joue depuis quelques années, et pour les temps à venir…

1/ La Mort de Jean-Marie Le Pen

Jean-Marie Le Pen, connu pour ses positions racistes, homophobes et ses antécédents en tant que tortionnaire de guerre, a quitté ce monde. Pour beaucoup, sa disparition est un motif de soulagement et de joie. En effet, Le Pen a été l’un des principaux architectes d’une idéologie de haine qui gangrène aujourd’hui largement le paysage politique français. Il aura su unir les principales familles de l’extrême droite (fascistes, anti-communistes, catho royalistes, etc.) pour fonder un parti à la botte de sa famille. Sa rhétorique a contribué à la stigmatisation de communautés entières, alimentant un climat de peur et de division. Au moins il n’aura pas vu de son vivant le retour au pouvoir de l’extrême droite en France, même si ce n’est pas passé loin.

Ah, elle est belle la lutte du centre contre l’extrême droite… Dommage que les victimes de JMLP n’auront pas le droit à de tels hommages…


La liberté d’expression nous permet de critiquer et de condamner les actions de Le Pen, et de faire nos blagues sur sa mort qui nous réjouis. Mais visiblement tout le monde n’est pas de cet avis, et on a eu tout un tas de réaction d’éditorialistes et de personnalités politiques qui n’avaient à la bouche que des termes comme « controversés », « polémiques » ou « sulfureux ». Des termes pour désigner à la fois les rassemblements festifs qui ont eu lieu, ainsi que le fondateur du Front National lui-même… ce qui dans ce dernier cas et un euphémisme tout à fait important [1]https://www.youtube.com/watch?v=OQ0RrDDX7fs. Malgré sa retraire, le vieux fasciste a finalement obtenu une victoire symbolique en mourant dans un contexte où ses idées ont pris du terrain, où il a su exister médiatiquement et saborder petit à petit le cordon sanitaire qu’avant on avait avec l’extrême droite et ses idées. Aujourd’hui le gouvernement va bien plus loin que faire sauter ce cordon : notre premier ministre espère ne pas se faire censurer en donnant toujours plus de gages au RN, qui le censurera de toutes manières.

Le début de l’année 2024 a été marqué par un climat où la moindre critique du gouvernement israélien pouvait vous rendre coupable d’apologie du terrorisme ou antisémite[2]Je ne développe pas, mais évidemment ce soupons touchera moins souvent les blancs que les autres… https://www.youtube.com/watch?v=0jy-lGR8lLM.. Un climat qui voudrait rendre l’extrême droite respectable et du bon côté du génocide, et l’antisémitisme forcément de gauche, mais ça reste encore à prouver. La famille politique qui a le plus souvent été condamné pour injure raciale, à avoir fait du négationnisme et de l’antisémitisme un projet politique, c’est le Front National et ses héritiers. Tout ces euphémismes et ces mémoires de poissons rouges, c’est ça qui devrait être problématique : les victimes de JMLP, eux, n’auront pas la chance de vivre jusqu’à 96 ans.

2/ Les Attentats de Charlie Hebdo, l’occasion de recracher un peu de laïcisme

Le débat sur la Laïcité rendu impossible

Le dixième anniversaire des attentats de Charlie Hebdo a ravivé des souvenirs douloureux et des débats passionnés. D’un côté, il y a ceux qui se réclament toujours de l’« esprit Charlie », prônant une « laïcité de combat » pour contrer ce qu’ils perçoivent comme une menace de l’islam radical. Ces voix, souvent issues des plateaux télé ou du centre politique, défendent une vision de la liberté d’expression qui considère que toute critique de l’islam est légitime et nécessaire. Il y a un an pile, j’en parlais dans cet article :

Daniel Schneidermann a sorti un livre pour expliquer comment cette tendance à d’ailleurs prit le contrôle du journal Charlie Hebdo, à rebours de l’esprit initial qui combattait le racisme et toutes les formes d’oppression avec humour. Une évolution qui a réduit le niveau de tout le débat public.

Depuis 2015, on n’a plus le droit de les contester. Ils ont payé le prix du sang, un prix épouvantable pour défendre leurs convictions, on a été avec eux, on les a soutenus, on a pleuré… Il s’est alors développé une autocensure générale qui fait que Caroline Fourest peut raconter régulièrement n’importe quoi à la télévision, elle sera toujours à la télévision le lendemain. Il n’y a plus de contestation possible du charlisme.

Daniel Schneidermann via Regards : « Le problème depuis le 7 janvier 2015, ce n’est pas Charlie, c’est le ‘charlisme’ qui s’en revendique mais ne fait rire personne »


De l’autre côté, il y aurait « les islamo-gauchistes », représentée par des mouvements comme La France Insoumise, la Ligue des droits de l’Homme ou le NPA, qui défendent la liberté d’expression tout en critiquant la ligne éditoriale de Charlie Hebdo ces dernières années. Cette critique s’articule autour de la dénonciation de l’islamophobie ambiante, et de l’utilisation de la laïcité comme excuse à la discrimination. Pour ces voix, il est crucial de ne pas laisser la liberté d’expression devenir un prétexte pour stigmatiser des communautés déjà marginalisées. En somme l’esprit de la loi de 1905, qui met en place la neutralité de l’État vis-à-vis des croyances religieuses, pas plus pas moins[3]Le « plus » serait la posture de combat, vouloir interdire certaines croyances dans l’espace public, au risque de le faire spécifiquement envers certains cultes plutôt que d’autres. … Continue reading. Et si ces organisations sont aussi critiquables, un des deux camps à beaucoup plus de poids médiatique que l’autre.

Capture et montage réalisé par l’internaute Weatherboy


Tout le monde a rendu hommage aux victimes des attentats de 2015, mais évidemment la galaxie du Printemps Républicain n’a pu s’empêcher de continuer leur croisade obsessionnelle. C’est même pas que moi qui parle d’obsession, on trouve ce mot par exemple chez le député PS Laurent Baumel : « c’est la logique de l’obsession : vous avez des gens, dont certains que je respecte, qui ont été ou sont des amis, qui sont tellement obsédés par cette question que si vous n’êtes pas dans la dénonciation matin, midi et soir de ceux qui sont sur la mauvaise ligne, alors vous en êtes complice. » [4]https://www.mediapart.fr/journal/politique/090125/dix-ans-apres-l-attentat-de-charlie-hebdo-le-camp-laiciste-etend-ses-attaques-toute-la-gauche.

Si certains espèrent que les Valls et compagnie sont tous partis vers Macron et qu’aujourd’hui la gauche va pouvoir repartir sur des bases saines, ça serait oublié que l’opinion publique est encore jour après jours martelée de cette opposition entre « la bonne et la mauvaise gauche », de gouvernement VS de l’agitation, des petits pas VS le grand soir, celle des palais VS celles de la rue. Tant que la ligne charliste existe dans les médias, elle continuera de pourrir le débat sur la laïcité qu’on souhaite défendre, au sein de la gauche comme dans le reste de la société.

Évidemment, la critique de la ligne éditoriale de Charlie Hebdo ne doit pas être interprétée comme une attaque contre la liberté d’expression, mais plutôt comme une invitation à réfléchir sur la manière dont cette liberté est exercée et sur les effets qu’elle peut avoir sur les différentes communautés. On ne peut sereinement en débattre dans un vacarme constant où on nous soupçonnera d’islamo-gauchiste, ou je ne sais quoi encore. Aujourd’hui tous ces discours qui viennent opposer 2 gauches viennent surtout renforcer tous les renoncements : pour être légitime, la gauche devrait abandonner la lutte contre les discriminations ? Non elle ne le fera pas, parce que sinon elle arrêtera d’être de gauche.

Plongés dans l’excès, noyés dans la vanité
Les plus ignorants se croient l’élite de l’humanité
Les folies de la colère, nous révèlent à nous-mêmes
On n’sait c’que l’on tolère, qu’une fois face à l’extrême
Un seul tonnerre de violence, assourdit nos beaux discours
Et nous v’là prêt à jeter la France dans la guerre civile d’Eric Zemmour

Kery James, Vivre ou mourir ensemble, 2016

Le Double-Standard des Éditorialistes

Le gouvernement et les éditorialistes be like :

Ce qui est frappant dans les réactions aux deux événements de cette semaine, c’est le double-standard qui émerge dans les discours médiatiques. D’une part, la mort de Jean-Marie Le Pen est souvent accueillie avec un certain soulagement, une célébration de la fin d’une époque de haine. Pourtant, cette même liberté d’expression qui permet de se réjouir de la disparition d’un homme aux idées nauséabondes semble être mise à mal lorsqu’il s’agit de critiquer les dérives de Charlie Hebdo ou d’aborder la question de l’islamophobie. Les discours laïcistes post-2015, qui soupçonne tout le monde de complicité avec le terrorisme du matin au soir, ils ont aussi eu un impact puissant sur les esprits. C’est notamment eux qui a permis de faire rentrer l’État d’urgence dans le droit permanent, car ces soupçons permanents produisent du consentement à plus de contrôle sécuritaire.

Et vous le sentez venir, ce sont les mêmes qui rendent hommage à Charlie Hebdo en défendant une forte liberté d’expression qui vont se réjouir du licenciement de G. Meurice, de la mort de Nahel ou s’émouvoir des fêtes en réaction à la mort de Jean-Marie Le Pen [5]https://x.com/BoudPrototype/status/1876895159834624455. Ce n’est jamais eux que vous entendrez dénoncer la moindre pente autoritaire du pouvoir, jamais. Comme d’habitude, derrière des appels à la liberté d’expression absolue, on trouve en pratique une défense du statu quo et l’interdiction des paroles critiques envers les dominants.


Les éditorialistes ne vont jamais oser parler d’islamophobie, rient que d’user le terme serait pour eux un aveu de complicité. Ce double-standard révèle une hypocrisie qui rend caduque leur discours sur la liberté d’expression. Si nous voulons défendre cette liberté, nous devons être prêts à l’appliquer de manière cohérente, sans céder à la tentation de privilégier certaines voix au détriment d’autres… Et pour ça le système économique doit changer.

3/ Meta se soumet au trumpisme

Mark Zuckerberg, PDG de Facebook et Instagram, a fait une grande annonce cette semaine concernant la modération et l’organisation de son réseau social. L’idée générale est qu’il souhaite une modération moins stricte des conversations concernant certains sujets chers au camp conservateur, comprendre : les discours de haine et de désinformations auront plus le champ libre qu’avant.

De quoi réjouir les républicains qui ont toujours affirmé que les règles de modération en vigueur servaient à protéger les intérêts « woke ». Ils militent pour l’application d’une liberté d’expression absolue qui, à leurs yeux, représente la seule manière d’avoir une modération politiquement neutre. Neutre voulant ici dire « quand tout ceux qui ne pensent pas comme nous et n’ayant pas la même culture, apparence et mode de vie que nous seront parti de ce réseaux ». À l’inverse, le camp démocrate rappelle que la modération avait été renforcée après le scandale de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016 et la prolifération des «fake news» sur Facebook. Le réseau à d’ailleurs plusieurs fois été pointé du doigt voir condamné pour ses biais racistes et/ou suprémaciste[6]En 2018, Facebook avait, par exemple, été largement utilisé en Birmanie pour inciter à la haine et à la violence contre la minorité des Rohingyas.. L’arrivée de fact-checkers professionnels il y a quelques années ainsi que des collaborations avec des journalistes devaient garantir que les réseaux sociaux ne croulent pas sous la désinformation. Oui mais voilà, Trump génère du trafic et il a encore gagné une élection présidentielle. Il n’en fallait pas plus pour que M. Zuckerberg cède et décide de calquer son site sur son rival X.

Cette grande réorganisation de la modération made in Facebook représente l’aboutissement d’une succession de décisions à même de faire plaisir à Donald Trump depuis sa victoire à la présidentielle de novembre 2024 [7]https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/11/mark-zuckerberg-veut-plus-d-energie-masculine-et-moins-de-politique-de-diversite_6493340_3234.html. L’abandon des « fact-checkers » implique que les affirmations seront désormais vérifiables via un outil communautaire et les personnes LGBTQ pourront être insultés de « malades mentales » sans risquer une modération particulière. Mark Zuckerberg n’a pas hésité à imiter ses collègues de la Tech, tels Jeff Bezos ou Sam Altman, en versant au nom de Meta un million de dollars pour le financement de la cérémonie d’investiture de Donald Trump.

Durant l’élection, Facebook a été très scruté et la moindre décision pouvait être qualifiée de complot anti-Trump, le milliardaire a d’ailleurs menacé de l’envoyer « en prison pour le restant de ses jours ». Cette multiplication inédite de cadeau au camp pro-Trump arrive donc après une certaine pression, là où Tik Tok s’apprête à être rétabli parce que Donald Trump est en désaccord avec les décisions de toutes les cours de justice américaine. En somme l’extrême droite ne défendra la liberté d’expression que si ça lui permet de pouvoir dire ses idées, jamais dans l’autre sens.

Cette mise au pas des milliardaires derrière Trump permet de rappeler que la liberté d’expression ne peut exister dans un système capitaliste où des gens peuvent acheter une partie du débat public. Lorsque Bolloré ou Musk achètent des sites, des chaînes de télé et autres médias ils achètent de l’influence sur ce qui est dit et surtout comment est-ce que les idées se diffusent. L’information n’a jamais été un libre marché, il y a des oligopoles, des leaders d’opinions qui ont le pouvoir d’imposer leur manière de voir.

Pour qu’on puisse continuer à penser en 2025 et après.

La mort de Jean-Marie Le Pen et le dixième anniversaire des attentats de Charlie Hebdo nous rappellent que la liberté d’expression est un droit précieux, mais qu’il doit être exercé avec responsabilité et réflexion. Plus que le journal en lui-même, c’est sensé être un moment où on célèbre la Liberté d’expression et l’importance d’accepter de vivre ensemble, la mort du raciste le plus célèbre de France aurait pu être l’occasion parfaite pour en parler.

Ça peut paraître un peu niais à dire, mais je le pense. La liberté d’expression doit être un outil de rassemblement, et non de division. En tant que citoyens, nous avons la responsabilité de défendre cette liberté tout en veillant à ce qu’elle ne soit pas utilisée pour justifier la haine ou la discrimination. Et tant que le débat public pourra être fortement influencé par des décisions de milliardaires conservateur, cette liberté d’expression sera en danger critique.

Réferences

Réferences
1 https://www.youtube.com/watch?v=OQ0RrDDX7fs
2 Je ne développe pas, mais évidemment ce soupons touchera moins souvent les blancs que les autres… https://www.youtube.com/watch?v=0jy-lGR8lLM.
3 Le « plus » serait la posture de combat, vouloir interdire certaines croyances dans l’espace public, au risque de le faire spécifiquement envers certains cultes plutôt que d’autres. Le « moins » serait de trop respecter l’héritage du passé en calquant nos jours fériés sur ceux du christianisme et de continuer les crèches dans les mairies. Vouloir combattre « les » religions mais ne rien faire contre ces héritages est selon moi une posture qui ne relève pas de la laïcité mais du nationalisme. Pour continuer la réflexion : https://www.mediapart.fr/journal/france/150324/le-domaine-d-application-de-la-laicite-s-est-etendu-de-maniere-deraisonnable
4 https://www.mediapart.fr/journal/politique/090125/dix-ans-apres-l-attentat-de-charlie-hebdo-le-camp-laiciste-etend-ses-attaques-toute-la-gauche
5 https://x.com/BoudPrototype/status/1876895159834624455
6 En 2018, Facebook avait, par exemple, été largement utilisé en Birmanie pour inciter à la haine et à la violence contre la minorité des Rohingyas.
7 https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/11/mark-zuckerberg-veut-plus-d-energie-masculine-et-moins-de-politique-de-diversite_6493340_3234.html

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